L’Église a fait faire un pas immense à l'humanité. Il y a quelques siècles à peine, les hommes étaient esclaves : le christianisme paraît, et les rend libres, au point qu'il est désormais impossible de reconnaître dans ces fiers citoyens du moyen âge les esclaves de l'antiquité.
Mais ici, une question de la plus grande importance se présente naturellement :
« Comment deux principes, en apparence contraires, celui de l'hérédité monarchique et celui de la démocratie communale, purent-ils se développer simultanément et, loin de se combattre, se prêter un mutuel appui ?
C'est ce qu'il importe de dégager.
Il est une loi, aujourd'hui méconnue, qui domine et éclaire singulièrement l'histoire de tous les peuples, et que l'on peut formuler en ces termes : la liberté est d'autant plus grande que le pouvoir est plus fort et plus respecté.
M. de Bonald, par la seule puissance du raisonnement et en dehors des faits établis par l'histoire, en avait trouvé la théorie dans une phrase que les peuples doivent retenir :
« Quand la monarchie pure, dit le philosophe chrétien, est dans la constitution, la démocratie pure peut et doit être dans l'administration ; car il y aurait trop de démocratie, si elle était à la fois dans l'une et dans l'autre. »
Après M. de Bonald, un autre philosophe catholique a exposé la même idée avec une égale puissance : Le pouvoir qui gouverne la société, « dit Balmès, doit être fort : s'il est faible, il tyrannise ou conspire ; il tyrannise pour se faire obéir, il conspire pour acquérir la force. »
Maintenant que nous avons dégagé la loi, appliquons-la à l'histoire.
Il y a dans toute société deux forces contraires ; la première s'appelle la monarchie, la seconde la démocratie. Si la démocratie l'emporte, le lien social se relâche et la société se dissout dans l'anarchie ; si au contraire la monarchie domine, le lien social devient une chaîne et le césarisme reste la loi de la Société.
C'est pour n'avoir pas pu trouver la formule dans laquelle doivent se combiner ces deux forces, que l'antiquité païenne, et la révolution qui en est l'image, sont allées alternativement, et sans transition, de la monarchie absolue à la démocratie absolue, du césarisme à l'anarchie.
Le moyen âge, au contraire, sous l'influence des idées chrétiennes, trouva la formule sociale et, pour ainsi dire, la quantité de monarchie et de démocratie nécessaire dans une société bien ordonnée, pour assurer à la fois l'exercice du pouvoir et des libertés publiques.
C'est ainsi qu'à cette époque où l'autorité est respectée, la liberté est garantie, car elle ne se présente plus comme le complément nécessaire d'un gouvernement fort, dans lequel l'administration, pour emprunter la formule de M. de Bonald, devient naturellement d'autant plus démocratique que la constitution est plus monarchique.
Alors les communes surgissent de toutes parts, chaque ville écrit sa charte de franchises, chacune a un forum où des citoyens libres dictent eux-mêmes leurs lois, sans que l' état en soit ébranlé ; et grâce à l'autorité royale qui maintient au centre l'ordre et l'unité, la liberté peut rayonner à la circonférence, et la démocratie couler à pleins bords dans le lit de la monarchie.
La Révolution devait renverser tout cet ensemble, et, pour le vain plaisir de mettre la démocratie dans la constitution, introduire nécessairement la monarchie, c'est-à-dire la centralisation, dans l'administration ; car « il y aurait eu trop de démocratie, si elle avait été partout à la fois. »
Ainsi, tandis que la France antique avait connu tous les avantages de la démocratie, sans en ressentir les inconvénients, il nous était réservé d'en avoir tous les inconvénients, sans en avoir les avantages.
Quelle étude que celle qui montrerait l'amour que le vieux peuple de France portait à cette royauté nationale, qui était véritablement son œuvre, et la confiance que celle-ci témoignait en retour aux gens des bonnes villes, aux hommes du tiers-état ! L'on verrait combien étaient alors rapprochées par la religion ces deux puissances, aujourd'hui si divisées, le pouvoir et le peuple.
« Il est de la dignité d'un roi, dit Philippe-Auguste, de conserver avec zèle dans leur intégralité et dans leur pureté les libertés, les droits et les anciennes coutumes des villes. »
Jamais, avant le christianisme, le pouvoir ne s'était présenté aux peuples avec une pareille mission.
« Cher fils, dit saint Louis dans ses dernières recommandations, s'il avaient que tu viennes à régner, pourvois que tu sois juste ; et si quelque querelle, mue entre riche et pauvre, vient devant toi, soutiens plus le pauvre que le riche, et quand tu entendras la vérité, fais leur droit.
Surtout, disait encore le saint roi,
Sur ce, ses commissaires, d'accord avec les habitants, décident, par le premier article, que tous les gens de métiers et marchands de la ville de Paris seront répartis en soixante et une compagnies ou bannières, accompagnées « de telles enseignes et armoiries que lesdits métiers et compagnies adviseront. »
L'art. 3 met à la tête de chaque compagnie un principal et un sous principal, élus par les chefs d'hôtel de chaque métier, et qui devront prêter serment au roi sur les saints Évangiles.
Au moyen âge, d'ailleurs, le peuple était une puissance dont les communes et les corporations de métiers étaient la plus solide garantie.
M. Louis Blanc, dont les sympathies ne sont pas suspectes, nous trace le tableau suivant des corporations d'ouvriers au moyen âge : « La fraternité, dit-il, fut l'origine des communautés de marchands et d'artisans. Une passion, qui n'est plus aujourd'hui dans les mœurs et dans les choses publiques, rapprochait alors les conditions et les hommes : c'est la charité. L'église était « le centre de tout ; et quand la cloche « de Notre-Dame sonnait l'Angelus, les métiers cessaient de battre. Le législateur chrétien avait défendu aux taverniers de jamais hausser le prix du gros vin, commune boisson du menu peuple ; et les marchands n'avaient qu'après tous les autres habitants, la permission d'acheter des vivres sur le marché, afin que le pauvre pût avoir sa part à meilleur prix.C'est ainsi que l'esprit de charité avait pénétré au fond de cette société naïve qui voyait saint Louis venir s'asseoir à côté d'Étienne Boileau, quand le prévôt des marchands rendait la justice. »
Si la commune était l'association de tous les hommes d'une même cité, le corps de métiers était l'association de tous les artisans de la même ville, exerçant la même profession ; c'était une commune au petit pied. Comme elle, il avait son administration intérieure, ses lois, ses privilèges, ses magistrats, ses revenus. La corporation qui avait été oppressive dans l'Empire romain, était protectrice au moyen âge ; c'était une institution libre, où l'on retrouve en quelque sorte le germe et l'origine de toutes les libertés communales.
Il serait trop long d'énumérer tout ce que la royauté a fait pour le peuple. Mais il n'est pas inutile de proclamer, au milieu d'une société qui cherche l'égalité dans l'abaissement des classes supérieures, comment le moyen âge avait rencontré l'égalité en élevant les classes inférieures.
L'ouvrier, en effet, a comme le noble sa devise et ses armoiries. Les drapiers de Paris, les tisserands de Langres sont fiers de leur bannière d'azur au navire d'argent ; les épiciers, de leur image de saint Nicolas ; les merciers, de leurs armes au vaisseau mâté d'or, sur une mer de sinople ; les charpentiers portaient haches et chevrons ; les cordonniers, alênes et tranchets ; les pelletiers, un Agneau pascal d'argent au champ d'azur ; les orfèvres, un écu de gueules écartelé d'une croix d'or, au premier et quatrième quart une coupe d'or, le tout surmonté d'un chef d'azur, semé de fleurs de lis sans nombre et entouré de la devise : In sacra inque coronas, « pour l'autel et le trône. »
A ces insignes extérieurs l'ouvrier joignait parfois des titres de noblesse, ainsi que nous l'avons vu dans la charte octroyée aux ouvriers de Darney en Lorraine, ainsi que cela existait en Provence où la qualité de noble, indépendante de tout titre aristocratique, était portée par des marchands.
D'ailleurs, l'ouvrier n'avait-il pas, lui aussi, cette aristocratie de la commune, dont il partageait la souveraineté, de la corporation, où il était jugé par ses pairs, enfin cette aristocratie de l'homme libre, que l'antiquité n'avait point connue ?
Le noble est sous la main du roi, selon l'expression du temps : il doit le service militaire ; il a des devoirs, et ils sont lourds, car il est le serviteur du roi et le serviteur du peuple, et il a marqué de son sang cette vérité sur tous nos champs de bataille ; voilà ce dont il faut nous souvenir. L'homme du tiers-état, à son tour, a bien des devoirs ; mais il les connaît, car, pour la plupart, il les a consentis ; de plus, il a des droits qui sont inscrits dans ses chartes et qu'il transmet à ses enfants, comme le noble transmet ses titres.
Plus tard, lorsque Richelieu courbera sous sa main de fer les têtes les plus altières de la noblesse, le puissant ministre se trouvera plus d'une fois arrêté par ces franchises séculaires, œuvres communes du peuple, de l'Eglise et de la royauté.
Voilà ce qu'était l'ouvrier au moyen âge, alors que les corporations et les confréries et la commune élevaient au rang de véritable pouvoir public ces hommes que la Révolution devait jeter, sans droits et sans dignité, dans des associations secrètes aussi funestes à l'individu qu'à la société tout entière.
Pressés par la force de la vérité, la plupart des historiens favorables à la Révolution ont dû confesser cependant le rôle et l'influence populaires de la royauté.
« Toutes les usurpations de la royauté sur l'aristocratie, dit M. Lavallée, étaient faites au profit du peuple, et celui-ci, en récompense, mettait sa gloire et son bonheur dans le roi.
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garde les bonnes villes et les coutumes de ton royaume, dans l'état et la franchise où tes devanciers les ont gardées, et tiens-les en faveur et amour. »
Mais comment peindre les rapports qui existaient, dans cette société naïve, entre le souverain et ses sujets ?
Personne n'est exclu de la présence du roi, disait au XVIe siècle un ambassadeur vénitien, les valets et les gens de la basse condition osent pénétrer dans son cabinet secret. Pendant le dîner du roi, presque tout le monde peut s'approcher de lui et lui parler, comme ferait un simple particulier : de là, une grande familiarité entre le monarque et ses sujets, qu'il traite tous en compagnons. »
Aussi les bourgeois sont- ils plus royalistes que les nobles, le roi le sait bien ; il va dîner, souper chez eux, y faire le compère, et signe même sur le registre de la grande confrérie des bourgeois.
Les gens du peuple entraient, pour la plus grande part, dans les conseils du roi ; et avant de partir pour la croisade, Philippe-Auguste ordonna d'établir dans chaque prévôté quatre prud'hommes, sans l'avis desquels les officiers royaux ne pourraient prendre aucune décision. A Paris, il confia même la garde des sceaux de l'État à six bourgeois de la ville, ayant plus de confiance en eux que dans la noblesse.
L'ordonnance des monnaies, sous saint Louis, est signée par des roturiers des principales villes ; de même, celles de 1303 et 1309 ; en 1314, des bourgeois de quarante et une villes sont réunis dans le même but : leur avis nous a été conservé.
C'est aux roturiers et aux gens de métiers que Louis XI confia la garde de Paris. Par une ordonnance de 1467, datée de Chartres, signée par le roi et contre-signée par l'évêque d'Evreux son conseiller, il est dit que « le roi a l'intention d'armer, pour la sûreté et tuition (protection) de sa bonne ville de Paris, les gens de tout état qui s'y trouvent.
restreindre les droits municipaux et les magistratures populaires, les protégeait ouvertement.
Toutes les fois, écrit encore le même historien, que le royaume s'agrandissait de l'adjonction volontaire de quelque province ou de quelque ville, nos rois acceptaient la condition d'en garder les franchises « locales ;
et il est certain que les princes de la troisième dynastie ont respecté, maintenu et protégé, de la manière la moins contestable, tout ce qui concerne le régime municipal, tout ce qui en assure l'exercice ; mais, il faut le dire, presque partout, les villes municipales se montrèrent « dignes de cette protection, par leur dévouement à la monarchie. »
M. Guizot déclare que, « sans la royauté, jamais la société, livrée à elle-même, n'aurait pu écrire ses coutumes, régler ses droits ou même les découvrir. »
Mais les communes à leur tour, il importe de le constater, ont beaucoup agi pour le maintien et l'extension de l'autorité royale ; « car, dit M. Guizot, c'est par le secours de la bourgeoisie, qu'avant la fin du douzième siècle, la royauté, sortant des limites où le système féodal la contenait, fit de sa suprême puissance un pouvoir actif et militant, pour la défense des faibles et le maintien de la paix publique.
M. Thierry écrit que « si le renouvellement de l'autorité royale n'eut pas pour cause unique les communes, du moins ces deux mouvements s'appuyèrent l'un l'autre. » C'est ainsi, nous le constatons encore une fois, que le mouvement communal, qui avait pour but d'établir, sur tous les points de la France, les libertés les plus diverses et les plus étendues, eut en même temps pour effet de fortifier au centre l'autorité tutélaire de la royauté ; ce qui nous permet de répéter, avec Bonald et Balmès, qu'il existe un lien mystérieux entre l'autorité et la liberté, et que c'est dans la monarchie chrétienne que se trouve la plus grande somme de démocratie.