La France d'avant les
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Vous aussi, mes enfants, vous me demandez souvent qui a fait toutes les ruines que vous voyez sur le sol de France ; comme les fils du laboureur vous voulez savoir d'où est venue la désolation dont vous rencontrez les traces, et vous me dites à votre tour : Père, racontez-nous comment ces cathédrales qui embellissaient les villes, comment ces palais où vivaient des rois et des princes, des archevêques et des évêques, ont été mutilés et dégradés; comment leurs voûtes et leurs dômes sont tombés ; comment dans les campagnes tant de chaumières sont détruites, tant de villages incendiés.
Eh bien ! venez avec moi, allons nous asseoir hors du bruit de la grande ville ; et quand nous serons sur ces hauteurs où vous voyez des tombeaux je vous montrerai au dessous de nous d'où a surgi le torrent qui a marqué son cours par tant de ravages ; du milieu des sépulcres je parlerai sans haine contre ceux qui nous ont fait tant de mal, car où sera-t-on sans rancune si ce n'est sur une tombe ? où sera-t-on sans flatterie si ce n'est quand on a sous les pieds la poussière des morts, la poussière de ceux qui ont fait le plus de bruit dans le monde ? Les révolutions sont dans l'ordre moral ce que les volcans sont dans l'ordre de la nature, le résultat d'un long travail. Lorsque l'Etna ou le Vésuve doit vomir la flamme, la cendre et la destruction leurs irruptions sont annoncées par des bruits avant-coureurs, la terre éprouve de fortes secousses, et de son sein sortent des bruits sourds; on dirait qu'elle souffre et qu'elle se plaint. Il en est de même des grands bouleversements politiques : ils n'éclatent point sans avoir été précédés par des rumeurs vagues de trouble et de désordre ; il vient alors à ceux qui gouvernent des vertiges et des délires. Les rois sur leurs trônes sont tout à coup devenus semblables à ces dieux d'or et d'argile dont parle l'Écriture, qui avaient des yeux pour ne pas voir, des oreilles pour ne rien entendre et des bras pour ne pas frapper. Dans la nation il se fait sentir du malaise et de l'inquiétude, et les hommes qui travaillaient pour vivre croisent les bras, et se mettent à raisonner comme s'ils étaient chargés des affaires publiques. La manie des conseils vient à tous, au plus humble comme au plus grand, au plus habile comme au plus inexpérimenté, tandis que l'habitude d'obéir se perd dans les masses. Parmi ceux qui sont mécontents de la position qu'ils occupent, parmi les envieux qui s'irritent de voir à d'autres les honneurs et les richesses qu'ils n'ont pas eux-mêmes, parmi les ambitieux qui aspirent à monter surgissent de nombreux parleurs. C'est une pensée d'égoïsme qui les a fait se lever et prendre la parole ; mais comme ils seraient méprisés et sifflés par la foule s'ils laissaient voir ce qu'ils ont dans l'âme, ils le cachent ; ils ont plein le cœur de cupidité, ils parlent sans cesse de désintéressement ; ils sont vains et orgueilleux, et le mot qu'ils répètent le plus c'est celui d'égalité ; ils sont remplis de fiel et de haine, ils disent fraternité ; ils veulent dominer, ils ont faim et soif du pouvoir ; ils rêvent la tyrannie, et ils crient liberté. Mes enfants, soyez donc en garde contre ces hommes aux paroles sonores ; ce sont des lépreux couverts de riches manteaux, ou, comme dit la Bible, des sépulcres blanchis qui ont de beaux dehors, mais qui ne renferment au dedans que pourriture et infection. A quoi vous auraient servi nos malheurs si vous vous laissiez prendre aux mêmes faux semblants qui ont fait tant de dupes parmi nous ? Que les folies du passé, qui ont commencé dans l'enivrement des choses nouvelles et qui ont fini dans le sang, soient bien jugées, bien appréciées par vous. Quand vos devanciers ont cru aux promesses que leur faisaient ceux qui s'appelaient orgueilleusement philosophes régénérateurs ils n'avaient point reçu les leçons que je vous enseigne aujourd'hui au milieu des ruines et des tombeaux. C'est une chose triste à dire, mais il y a du danger dans le bonheur : les hommes y deviennent souvent ingrats ; ils oublient que la paix, que la prospérité dont ils jouissent leur sont accordées par Dieu ; ils trouvent tant d'abondance, tant de fleurs, tant de délices sur la terre qu'ils ne regardent plus le ciel. De cet oubli, de cette ingratitude naissent bientôt le scepticisme et l'impiété ; et quand le monde en est arrivé là il est tout proche des mauvais jours. Moi, mes enfants, je suis né dans un temps bien voisin des orages ; mais je me souviens encore du beau ciel bleu que j'ai vu dans ma première enfance. Alors point de soucis, point d'inquiétude n'assombrissaient le front de mon père ; mes frères aînés l'environnaient nombreux et respectueux, et les plus petits d'entre nous montaient sur ses genoux pour l'entendre parler de notre mère, que Dieu venait de rappeler à lui. A présent vous avez beau faire, vous avez beau vous occuper de vos études ou courir à vos plaisirs, vos jeux bruyants ne peuvent si bien couvrir les conversations politiques de vos parents que vous n'entendiez encore les mots d’émeutes et de complots, de machinations et d'attentats, de craintes sans cesse renaissantes et de malaise général ; dans les jours de mon enfance rien de semblable ne parvenait à mes oreilles. Je me souviens de la tranquillité de ma ville natale, de son mail si animé d'enfants pendant la semaine et si couvert de beau monde le dimanche ; je me souviens des églises si nombreuses et si belles et de notre paroisse où nous donnions le pain bénit ; je me souviens des parties de plaisir et de fêtes de famille, mais je n'ai aucune mémoire d'avoir entendu alors les mots que vous entendez aujourd'hui. En ce temps-là la politique n'était point entrée dans la vie intérieure, et sur la table du salon on ne voyait point de journaux, tout au plus le Mercure de Finance, qui, je me le rappelle, préoccupait beaucoup mon père à cause de ses énigmes et de ses logogriphes. Quand mes frères revenus de leur régiment parlaient du roi et de la reine, qu'ils avaient vus à Versailles, c'était toujours avec enthousiasme et respect; et quand le dimanche nous étions à la grand'messe auprès de notre sœur aînée, qui remplaçait notre mère, elle nous faisait toujours nous lever dans notre banc au Domine, salvum fac regem ; ainsi nous étions encore tout petits qu'après Dieu ce que nous honorions le plus c'était le roi ! Et ce qui se passait chez nous se passait ailleurs : aimer Dieu, honorer le roi, servir son pays, tels étaient les enseignements que l'on donnait dans toutes les familles. Louis XVI régnait alors ; il venait d'abolir la torture et la corvée, et de toutes parts le peuple le bénissait. Parmi les jeunes officiers qui venaient voir mes frères je me rappelle qu'il y en avait plusieurs qui exaltaient beaucoup ce que le roi avait cru devoir faire en se déclarant pour l'indépendance de l'Amérique, et je me souviens aussi qu'un vieux colonel, qui les avait écoutés vanter avec enthousiasme ce que cette guerre avait de généreux et de chevaleresque, leur dit : Messieurs, il ne m'appartient pas de blâmer ce qu'a fait le roi ; mais plaise à Dieu qu'il ne se repente jamais d'avoir soutenu des révoltés ! — Eh bien, repartit un des plus jeunes capitaines, si l'Angleterre est mécontente elle nous le dira ; elle nous déclarera la guerre, et... — Jeune homme, repartit le vieillard, si elle en vient là moi avec mes cheveux blancs, vous avec votre jeunesse nous nous retrouverons en face de ses soldats... Mais l'Angleterre a d'autres armes que des canons et des baïonnettes... ce sont ses armes cachées, c'est sa politique que je crains: gare à sa rancune ! Malgré toutes les années qui ont passé sur ma tête, malgré tous les changements, tous les bouleversements survenus depuis ces jours de 1789, il me semble entendre encore à la table de mon père cette conversation animée entre les officiers et le colonel... C'est là la première discussion politique dont j'aie gardé la mémoire; et bien souvent depuis les paroles du vieux militaire me sont revenues dans le souvenir, bien souvent j'ai pensé comme lui que la politique de la Grande-Bretagne était plus à redouter que ses armes, et que Machiavel aurait dû naître Anglais. |
La pensée du roi avait soudainement rendu de la vie à ce cœur qui ne battait presque plus, à ce cœur qui allait s'arrêter pour ne plus souffrir.
Ce que je vous dis ici, mes enfants, doit vous paraître étrange et exagéré, car aujourd'hui vous ne voyez rien de semblable. La couronne n'a plus de majesté, le sceptre n'a plus de magie ; un roi ce n'est plus le lieutenant de Dieu, c'est un homme comme les autres hommes ; ce n'est plus du ciel que lui descend la puissance, c'est de la rue et de la place publique qu'elle lui vient. Un roi de nos jours c'est notre chargé d'affaires ; plusieurs fois dans l'année nous lui demandons de nous rendre ses comptes, et quand il a trop dépensé nous lui témoignons notre mécontentement. Quand il veut marier ses filles nous disputons sou à sou la dot qu'il leur donnera, et quand ses fils atteignent leur majorité nous leur refusons des apanages. Avec semblables mœurs la majesté des rois est difficile à établir ; aussi le peuple qu'on a salué du titre de souverain ne se gêne point avec son premier mandataire, et ne lui ôte plus son chapeau quand il le rencontre : huit chevaux ont beau traîner le carrosse, des cuirassiers, des dragons, des lanciers ont beau l'escorter le sabre nu et la lance au poing ; on a beau vouloir dorer le cortège, la foule ne s'émeut ni ne s'arrête pour Je voir passer, et le silence de la multitude, que l'on a appelé la leçon des princes, s'étend dans toutes les rues qu'il parcourt. Quand on compare cette froideur, cette indifférence, ce manque de respect à ce que j'ai vu dans le passé je me prends à croire que je ne suis plus en France. Cependant je suis bien revenu au sol natal, et tous ces hommes qui m'entourent ce sont bien des Français ; mais ils n'ont plus le culte de leurs pères. Pour eux la royauté n'est plus fille du ciel, et ils ne l'honorent plus. Autrefois quand le roi sortait de son palais, quand il avançait dans la ville, partout sur son passage le peuple s'arrêtait et se découvrait le front comme des enfants qui voient venir leur père. L'ouvrier cessait un moment de travailler, et la tête nue regardait avec bonheur la royale famille, qui lui souriait avec amour; le riche faisait arrêter sa voiture... Mais aussi en ce temps-là, si le roi, dans une de ses promenades, venait à rencontrer dans la ville ou dans la campagne un prêtre portant le saint viatique à un mourant son service avait ordre de suspendre la marche, les soldats de l'escorte faisaient halte, les pages venaient ouvrir la portière, et le roi, la reine et leurs enfants descendaient du carrosse doré, et s'agenouillaient sur le pavé de la rue ou sur la poussière du chemin pour adorer le Dieu par qui règnent les rois, le Dieu qui console ceux qui souffrent et qui fortifie ceux qui vont mourir. La piété des rois très chrétiens ne s'arrêtait pas là : les fils de saint Louis en se relevant de leur acte d'adoration suivaient à pied et chapeau bas le saint sacrement jusqu'à la maison du moribond, et sur les pas de Dieu le roi de France entrait ainsi tantôt dans de somptueux hôtels, tantôt dans de misérables demeures ; tantôt approchait du riche qui se mourait abrité par des courtines de soie, et tantôt venait voir expirer sur quelques poignées de paille le pauvre père de famille !... O mes enfants, il y avait dans cette vieille et chrétienne coutume bien de salutaires leçons ! leçon pour le roi et leçon pour le peuple. Le roi apprenait ainsi à reconnaître la suprématie de Dieu, et le peuple en voyant son souverain se faire vassal du Seigneur apprenait à aimer ce roi qui venait humblement prier avec lui, et regarder de près la misère et la souffrance, la douleur et la mort. Et dites, ne croyez-vous pas que cette communion de prières était un puissant lien entre la nation et son prince ? Aujourd'hui cette attache est rompue ; aussi comme aucun rayon du ciel ne tombe plus sur la couronne elle ne brille plus aux yeux des hommes ; elle n'est à présent qu'un cercle d'or sans splendeur et sans magie. Ainsi donc, mes enfants, quand dans le cours de ma longue narration je dirai Le Roi vous vous souviendrez que c'est du roi légitime successeur de Louis IX et de Louis XIV dont je parle ; alors vous ne vous étonnerez plus des respects et des hommages dont j'entourerai toujours la royauté, car après Dieu ce que j'honore le plus sur la terre c'est un vrai roi. Les principes que je vous déclare ici c'étaient ceux de toute la France il y a cent ans ; ils n'ont changé que depuis que le philosophisme a répandu les siens. Le champ était tout verdoyant, la moisson promettait d'être abondante, le laboureur se réjouissait ; mais un envieux vint à passer près des riches sillons, et versa à pleines mains la semence de l'ivraie parmi le blé dont les épis commençaient à se former. Peu de jours après cette méchante action la mauvaise herbe avait déjà poussé ; le bon grain ne grandissait plus, l'ivraie avait tout envahi; alors le maître du champ se désola, et fit venir des journaliers pour arracher la mauvaise herbe ; mais malgré leur travail la moisson fut presque entièrement perdue, et bien peu de belles gerbes furent serrées dans la grange : ce fut de même en France Les pernicieuses doctrines répandues par les impies s'étendirent dans la société française ; et pour punir le monde des fautes et des crimes du passé Dieu permit aux hommes qui se donnaient orgueilleusement le nom de philosophes de prendre de l'influence sur les esprits. Je ne sais par quelle étrange manie, par quel vertige les grands furent les premiers à écouter les apôtres de l'égalité ! en ce temps d'erreur et d'enivrement il n'y avait guère de grand seigneur qui n'eût son philosophe, qu'il hébergeait et nourrissait à charge d'être un jour ruiné et dépossédé par les principes journellement professés chez lui. Chez un peuple imitateur cette folie eut d'immenses et funestes résultats : le vent destructeur qui avait d'abord jauni et desséché la cime des cèdres s'abaissa bientôt, et se mit à souffler sur l'hysope, qui se flétrit à son tour. Ce vent qui dessèche, qui fait languir et qui tue vient de l'enfer : c'est le scepticisme. Quand il pénètre dans une famille les joies du foyer s'en vont ; entre frères et sœurs on ne s'aime plus, on s'envie ; on ne se loue plus, on se dénigre ; on ne sourit plus, on discute ; la fête de l'aïeul n'est plus chômée, car les cheveux blancs ont cessé d'être comme une couronne, et sont devenus un ridicule ou un tort ; les discours des vieillards ennuient, et les maximes le l'expérience font pitié aux jeunes hommes ; les paroles même d'une mère n'ont plus d'autorité, et l'on oublie les enseignements qu'elle nous a donnés alors qu'elle nous prenait sur ses genoux, et qu'elle nous faisait joindre nos petites mains pour nous faire prier Dieu. Avec cette tendance à douter de tout, avec ce besoin de tout analyser on ne gagne qu'une chose, c'est le découragement. « Alors ne parlez plus des mystères de l'âme, du charme secret de la vertu : grâces de l'enfance, amours de la jeunesse, noble amitié, élévation de pensées, charmes des tombeaux et de la patrie, vos enchantements ne sont plus. » (Chateaubriand) Si l'incrédulité fait tant de mal quand elle se glisse dans une famille, combien n'est-elle pas redoutable quand elle s'étend comme un fléau, comme la peste, comme le choléra, comme une lave sur toute une nation ! Oh ! alors mieux vaudrait n'être pas né que de vivre parmi les hommes qui ne veulent plus croire qu'à ce qu'ils voient, qu'à ce qu'ils touchent. Quand le Positif devient l'idole d'un peuple enlevez, repliez votre tente, et allez la planter bien loin de lui ; car, en vérité, je vous le dis, mes enfants, le désert sera moins sec, moins aride que le pays où la matière est mise au dessus de l'esprit, où l'or est le dieu que l'on encense. Et cependant les apôtres de ce culte avilissant, les missionnaires de cette religion qui dégrade l'homme, puisqu'elle lui ôte les vertus qui l’élevaient vers le ciel, s'étaient superbement appelés eux-mêmes Régénérateurs et Philosophes. Singuliers amis de la sagesse que Voltaire, que Jean -Jacques, qu'Helvétius, que Diderot et d'Alembert, que toute cette secte qui criait aux peuples : Il n’y a pas de Dieu ! il faut qu'il n'y ait plus d'autels, plus de trônes ! prenez le boyau du dernier prêtre, et servez-vous-en pour étrangler le dernier roi ! Alors qu'il y avait tant de méchanceté dans l'âme de certains hommes il aurait fallu qu'une main de fer eût tenu le sceptre; mais Dieu, qui a ses impénétrables |
A LIRE :
Petit Manuel du Royaliste
La Monarchie libératrice
Petit Manuel du Royaliste
POUR COMMANDER LE LIVRE http://goo.gl/9zoKD
Broché: 82 pages
Éditeur : Démocratie Royale (2012)
Langue : Français
ISBN-10: 2954118202
ISBN-13: 978-2954118208
Chèque de 14€ + 2,50 € de frais d'expédition à l'ordre de Démocratie Royale, 3 rue du Chemin de Fer, 80320 Chaulnes
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